ROLE NARRATIF DU JINGLE DANS LE RECIT AUTOUR DE LA MARQUE
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Université de Limoges, France
Abstract
Le positionnement d’une marque dans le marché implique une scénarisation qui se réalise par l’entreprise. En science de gestion, cette mission est baptisée « la nar-action », qui se donne pour tache d’expliciter la stratégie de l’entreprise pour changer le statut du consommateur. La naraction nous amène à penser à la notion de narrativité qui introduit le couple « Performance/Changement ». L’entreprise essaie de faire basculer la situation stable du consommateur à travers ses campagnes publicitaires qui puisent leur force dans les enjeux narratifs. Pour ce faire, les publicités télévisuelles rentrent en scène en présentant un produit ou un service par le biais d’une double entrée : Icône + Musique.
Dans le travail présent, on se focalise sur la signature musicale des flashes publicitaires. Elle se constitue de la musique composée pour le spot et aussi du jingle. Cette étude porte donc comme sujet l’identification du rôle narratif du jingle dans le récit que l’entreprise crée pour présenter sa marque. Mais l’essentiel c’est de savoir sur quelle hypothèse pencher pour explorer cette problématique : on va s’appuyer sur l’idée que le jingle, en tant que morceau musical juxtaposé à l’image, prend en charge le degré de l’attitude affective et cognitive de l’auditeur. Il serait de ce fait un adjuvant au service de la marque, et pourrait équiper la marque des compétences de « pouvoir-faire » et de « savoir-faire ». On vérifiera cette hypothèse à travers une méthodologie comprenant trois approches : psychoacoustique, comparative, et fonctionnelle. Quant à la première, on étudiera l’effet des variables permanentes et transitoires du jingle sur les émotions du consommateur par rapport à la marque. La deuxième approche s’attarde sur la priorité que le cerveau attribue au logo visuel de la marque par la comparaison à son jingle dont l’analyse cérébrale est faite au second plan. Via la troisième approche, on analysera l’aspect communicationnel du jingle à l’appui du schéma de communication de Jakobson.
Ce travail abordera l’analyse en trois parties. Premièrement, en s’appuyant sur la théorie de la musique, on s’attaquera à l’aspect acoustique des variables constitutives d’un morceau musical pour identifier leur effet psychologique sur le consommateur. Puis en seconde partie, on verra la modalité du procès de l’analyse des informations par le cerveau qui explore comment le jingle est perçu quand il est synchronisé avec l’image. Enfin, en dernière partie, on étudiera les fonctions du schéma de communication de Jakobson qui définissent le rôle narratif du jingle.
Introduction
La présentation d’une idée consiste à faire une communication qui se situe sur l’axe de transmission ou sur celui de savoir (Greimas 1966). Au cours de chaque communication, il existe un état initial et un état final favorisant la formation d’une histoire autour d’un thème. “Histoire” se définit comme
récit d’événements mémorables, et la connaissance ou relation des événements du passé, des faits relatifs à l’évolution de l’humanité, d’un groupe sociale, d’une activité humaine, etc., et qui sont dignes et jugées dignes de mémoire “(Rey 1986).”
Parmi différents types d’histoire, par ce travail présent, on va se pencher vers les discours qui se créent afin de transmettre une valeur au destinataire. Ces discours ont trouvé leur place dans la narration en marketing “(Lewi et Lacoeuilhe 2012)”, comme le souligne Kapferer
Une marque qui resterait trop longtemps muette […] serait déchue. Si la marque est discours […], elle peut donc être analysée comme discours.
L’objectif principal de chaque entreprise consiste à satisfaire le consommateur. Pour qu’une marque soit en mesure d’atteindre le comportement idéal du consommateur, elle est obligée de recourir aux innovations afin de se distinguer de ses adversaires. Ces innovations proviennent des méthodes variables dont chacune produit un nouveau récit. En existant dans un monde concurrentiel, la marque est obligée de scénariser à chaque fois ses valeurs d’une différente manière dans le but de dépasser ses concurrents. Cela veut dire que l’entreprise doit introduire un récit au marché en tant qu’instrument d’action pour agir sur les attitudes des consommateurs. Récemment, ce qui avait beaucoup d’efficacités au niveau de création du récit autour de la marque était le marketing sensoriel. Il ouvre la possibilité de capter l’attention du destinateur d’une manière innovante, parce qu’il s’attache aux expériences vécues par le client qui ont des dimensions sensorielles, émotionnelles, cognitives, comportementales et relationnelles et fonctionnelles “(Rieunier 2002)”. Parmi les cinq types de marketing sensoriel, on se focalise, dans cette étude, sur le marketing musical. Ce dernier vise à créer et à gérer la musique pour l’image et les valeurs que souhaite transmettre l’entreprise auprès des clients visés “(Assadi et al. 2012)”.
La musique, par exemple une symphonie de Beethoven, est un récit. Elle introduit une narrativité, elle se définit comme une expression comportant un état initial, une intrigue et un état final “(S. Hatten 1994)”. Mais, dès qu’elle se juxtapose à l’image, elle perd cette forme narrative, et elle se transforme en un actant d’un récit à l’origine de la combinaison de l’image et de la musique.
Dans le cadre d’un flash publicitaire, la signature musicale se constitue de la musique composée pour le spot et aussi du jingle. Ces deux signatures ont un même rôle narratif précis dans le récit créé pour la marque. Entre ces deux signatures, notre travail se focalise sur le jingle, et il porte comme sujet « vérifier le rôle narratif du jingle » dans un récit que l’entreprise crée pour présenter sa marque et son produit. En s’appuyant sur cette problématique, on pourrait proposer cette hypothèse :
La musique transmet le sens, on pourrait donc définir le jingle comme une mélodie prenant en charge le degré de l’attitude affective et cognitive de l’auditeur. Du point de vue sémiotique dans la perspective narrative, cette mission s’accomplit par l’adjuvant, on pourrait considérer donc le jingle comme l’adjuvant dans le parcours de la narration. Pour vérifier cette hypothèse, on va aborder d’une part la narrativité du point de vue sémiotique et d’autre part du point de vue marketing. De plus, ce rôle narratif du jingle va être justifié par l’intermédiaire d’une approche comparative concernant la situation du son par rapport à l’image. Selon Lehu J. M.
le marketing est une science qui consiste à concevoir l'offre d'un produit en fonction de l'analyse des attentes des consommateurs.
La science de marketing consiste à optimiser les conditions nécessaires pour faire connaitre le produit au consommateur. Afin d’arriver à ce but, l’entreprise entreprend de changer la situation du consommateur. Cette modification est une tentative à bouleverser l’état actuel du consommateur, et à innover un nouvel état. En science de gestion, une notion particulière a été attribuée à ce changement. Cette notion, “nar-action”, relate ce qui constitue la démarche de l’entreprise “(Kahane 2005)”. Nar-action (narration par et pour l’action) montre l’ancrage du récit dans l’action. Elle est comme processus descriptif du cheminement itératif entre un réel existant et une fiction destinée à progresser vers l’un des réels futurs possibles. D’un côté, la narration permet d’incorporer en un même ensemble la réalité de l’existant, et la fiction sur ce qui sera. De l’autre, l’action permet à partir d’une fiction proposée, d’enclencher la transformation du réel et confronte les propositions fictionnelles “(Kahane 2005)”. Cette définition explique bien la stratégie de l’entreprise à entreprendre de changer l’état du consommateur. L’évolution et la transformation de ce dernier à un nouvel état se réalise au moment où le consommateur ne connait aucunement le nouveau produit. A ce stade, l’entreprise se met à changer les habitudes du consommateur, et à lui faire connaitre son produit. Elle essaie de lui suggérer une nouvelle expérience différente de celle qu’il vit. Dans le cadre de “nar-action”, cela veut dire qu’elle essaie d’éloigner le consommateur de sa réalité, les produits dont il se sert quotidiennement, et de lui inciter une autre réalité, une réalité fictionnelle. Cette dernière a été appliquée dans la définition de “nar-action”, car au but de séduire le consommateur, l’entreprise s’efforce de faire apparaitre son produit comme un rêve.
1. Narrativité en marketing et en sémiotique
La nar-action réalisée par l’entreprise se compte comme une stratégie qui nous a fait penser à la narrativité en sémiotique. Selon Micu et al. (2005)
Ce mot nous fait croire l’existence du rapport entre la narration au sens sémiotique et la stratégie de l’entreprise à présenter la marque.
Dans la perspective de la sémiotique, la notion de la narrativité résulte de l’opposition courante Permanence/Changement,
c’est grâce à cette distinction fondamentale entre ce qui est stable et ce qui est modifié ou transformé, que déjà nous donnons sens à tout ce qui constitue notre univers sémantique.
“(Courtés 1991)”.
Du point de vue de la sémiotique, la notion de l’action qui a été insérée dans le terme “nar-action” se forme selon l’opposition “Performance/Changement” déjà cité. L’entreprise se met à connaitre les besoins potentiels du consommateur. Une fois connus ces derniers, elle essaie de les provoquer en présentant le produit à travers les campagnes publicitaires. D’après la narrativité en marketing, ces derniers peuvent être considérés comme un récit autour de la marque afin d’inciter le consommateur à acheter le produit.
Dans la perspective du marketing, les six actants de la narrativité s’approprient un équivalent :
· Le destinateur : le responsable de la marque
· Le destinataire : le public
· Le sujet : la marque
· L’objet : le meilleur positionnement de la marque
· L’opposant : les marques adversaires
· L’adjuvant : tout ce qui est efficace à transposer les valeurs de la marque, et à lui permettre de posséder un positionnement agréable au marché.
Concernant l’objet d’étude de cet article, on se focalise sur l’adjuvant.
2. Adjuvant en sémiotique et en marketing
En se référant à la sémantique structurelle de Greimas, on trouve l’adjuvant comme un actant aidant à la réalisation de la jonction entre le sujet et l’objet, sur un axe de pouvoir. Concernant un récit mis en place autour de la marque, il faut bien admettre que la marque est toujours le sujet “(Lewi 2009)” qui exprime un prédicat “(Fontanille 2007)”, et que la fonction de l’adjuvant, un élément intégré dans la scène prédicative, est accomplie par l’attribution géographique, l’histoire de la naissance de la marque, la biographie de son créateur, les personnages du récit publicitaire, le nom, le logo visuel, le jingle et le slogan publicitaire. Parmi ces derniers ce qui nous intéresse est le jingle. Ce dernier est l’élément le plus courant et le plus principal de l’identité sonore qui fait apparaitre l’image de la marque dans le cerveau. Cela étant dit l’hypothèse de ce travail consiste à définir le jingle comme un adjuvant au sein du récit créé propre à la marque, il nous faut donc préciser la notion du jingle, et son rôle concernant la marque.
3. Jingle
La marque est un signe servant à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. Aujourd’hui le capital des entreprises réside dans les marques qu’elles possèdent. Il apparaît désormais que la valeur d’une entreprise résulte d’abord de l’intérêt que lui portent ses acheteurs potentiels “(Kapferer 1999)”. La marque véhicule l’image et les valeurs de l’entreprise à sa clientèle. Elle est la signature de l’entreprise, et sa principale garantie.
Toutes les marques se positionnent sur marché avec deux faces complètement différentes : visuelle et musicale. L’image visuelle de la marque existait depuis longtemps, et l’image musicale lui a été juxtaposée comme une valeur ajoutée. Intitulée le jingle, cette image musicale est une mélodie courte systématiquement associée à la marque. Elle est un petit morceau musical comprenant 4 ou 6 notes qui dure à peu près 10 secondes. Un jingle se produit exprès avec la courte durée, pour qu’il puisse agir immédiatement sur destinataire. Dans les campagnes télévisées, cette signature se diffuse à la fin d’un spot publicitaire en même temps que le logo visuel.
Le premier rôle du logo musical est de délivrer un message non-verbal central représentant la marque “(Zoghaib et Goudy 2003)”, mais ce message accomplit une fonction d’injection, c'est-à-dire qu’il incite à agir et à acheter. Un logo, soit visuel soit musical, est l’image de la marque et de l’entreprise, et il essaie de faire mémoriser la marque au destinataire. D’après le glossaire illustré du marketing, le logo musical ou le jingle
est un son ou un ensemble de sons que les individus associent spontanément à une marque.
Et selon la définition de Goudy :
Un jingle est un morceau musical, un mouvement mélodique qui se commence avec une attaque, et il se finit avec une cadence. Le jingle se veut être la signature strictement musicale de la marque. Son utilisation se fait de manière systématique à l’instar du logo graphique. L’identité musicale permet ainsi d’illustrer des valeurs de marque et de soutenir les autres éléments de communication afin de faciliter la compréhension de l’identité de la marque.
Michel Chion, dans son livre
Le son, Traité d’acoulogie”, explique que “le jingle peut être un son caractéristique de métier, ou un son familier auquel on s’est attaché et auquel on prête une valeur symbolique et affective comme “le gong rouillé d’une vieille porte, une vieille machine à coudre, etc.
Le jingle est un ensemble de sons esthétiquement organisés et structurés, disposant tous les caractères du son. Contrairement à l’image qui est fixe et ponctuelle, et occupant un seul espace, le jingle est entendu partout et nulle part en même temps. Il remplit l’espace, et personne ne peut l’ignorer et s’échapper de lui. Cette caractéristique omniprésente du jingle consiste à porter sur l’effet d’ubiquité du son. Cet effet aide au jingle à informer sur lui-même que “J’existe”.
3.1. Missions du jingle
3.1.1. Agrément
Les annonceurs cherchent à développer autour des marques une rhétorique qui permet au consommateur de percevoir les éléments affectifs, esthétiques et symboliques qu’elles véhiculent “(Reynolds et Gutman 1984)”. Les éléments non verbaux sont privilégiés par les publicitaires parce que les images, la musique ou les couleurs sont plus efficaces que les mots pour communiquer des valeurs abstraites “(Scott 1990)”. Pour certains auteurs, la musique constitue un message périphérique ayant un effet essentiellement émotionnel “(Alpert et Alpert 1990)”, mesuré le plus souvent à l’aide du modèle PAD (Plaisir, Activation, Domination) élaboré par Mehrabian et Russel.
La plaisance et l’esthétique, l’objet de l’approche psychoacoustique assument un rôle persuasif. L’esthétique est tout ce qui pénètre l’individu par les sens sous la forme d’un agrément ou d’un désagrément immédiats “(Bouveresse 1998)”. La question de l’esthétique nous amène à la notion de préférence. Dans cette perspective, la musique participe à la formation de la préférence envers le produit “(Gorne 1982)”. Un morceau musical est un phénomène qui peut être préféré pour quelqu’un, et non préféré pour quelqu’un d’autre. Cette préférence est subjective, et elle dépend de facteurs liés à la musique, et ceux liés aux conditions psychologiques et sociologiques de l’auditeur “(Day 1985)”. La préférence musicale comme l’acte de choisir, estimer ou donner l’avantage à une chose plutôt qu’à une autre “(Price 1986)”. Ces explications introduisent que la musique est un élément de persuasion influençant l’attitude affective et cognitive envers la marque “(Galan 2003)”. Il est indispensable d’ajouter que pour la diffusion d’un flash publicitaire sur le support télévisuel, la musique s’accompagne toujours avec l’image ou le logo visuel. Ce serait donc impossible d’expliquer l’influence de la musique sur l’attitude du destinataire sans révéler son rapport avec l’image.
3.1.2. Sonoritéetvisualité
Longtemps l’identité d’une marque se présentait sous la forme visuelle, mais récemment, la plupart des marques se dotent d’un logo musical exprimant l’idée et l’identité propre à la marque. Le fait que le logo musical se met en second plan, émane du processus de l’analyse que le cerveau réalise pendant la perception d’un phénomène audio-visuel. Dès le quatrième mois avant la naissance, on perçoit les stimuli par le toucher et l’ouïe, et ce n’est qu’à partir du quatrième mois après la naissance qu’on est capable de connaitre le monde par la vision. On perçoit les stimuli par la vision, car le cerveau donne la priorité absolue à l’analyse des données issues de la vision, et ensuite il analyse celles provenant de l’ouïe “(Deshays 2010)”. Notre compréhension d’un phénomène audio-visuel est le résultat de l’association du son et de l’image, et notre cerveau perçoit une image sonore de ce phénomène, cela veut dire que lorsque l’œil saisit un évènement, le cerveau lui attribue un son. Cela prouve que le son accompagne l’image, et il est donc un phénomène consécutif à un évènement “(Deshays 2010)”.
Tout ce qui a été remarqué dans le paragraphe précédent relève de la dominance de l’œil sur l’oreille. Bien que l’image l’emporte sur le son, rien ne nous empêche de croire au lien indéfectible d’image/son. Bien avant l’année 1929, le synchronisme d’image/son est né. Ce synchronisme se fait au but de créer le sens. En effet, bien que l’image en mouvement essaie d’enregistrer le réel, sur les supports audio-visuels, elle n’arrive pas à transmettre toute la réalité, et ce n’est que la synchronisation avec le son qui resserre la distance de l’image et la réalité. La naissance du sens provient de la synchronisation de l’image et du son “(Deshays 2010)”. Autrement dit, la combinaison de l’image et du son produit un récit qui donne le sens à l’objet audio-visuel. En fait, chaque son transmet des sensations par lesquelles on se fait attraper. En provocant des sensations déjà expérimentées chez l’auditeur, le son participe à transmettre le sens du récit créé par l’assemblage image/son. Michel Chion (1990) présente la musique comme la valeur ajoutée de l’image. En effet, l’image est le reflet d’une réalité, et la musique d’une part elle n’en est qu’une évocation toujours approximative, et d’autre part, dans le cadre de la communication, elle est considérée comme un élément complémentaire qui consiste à répéter l’image.
En recourant au statut du son relativement à celui de l’image dans le cadre audio-visuel, on pourrait justifier le rôle narratif du jingle dans l’action de marque. De façon redondante, la signature musicale de la marque fait disposer à la marque des compétences propres à proposer lui-même au consommateur, à faire croire au consommateur que c’est elle qui est la meilleure. Le jingle, juxtaposé au logo visuel de la marque, le répète de façon musicale, et vu que la boite noire du cerveau le perçoit comme le deuxième élément d’un phénomène audio-visuel, il peut donc être considéré en tant qu’une force facilitant l’accomplissement de l’action de la marque.
Ce qu’on a jusqu’ici relaté de la place du son dans un phénomène audio-visuel rapportait la primauté de l’image au son, alors qu’évidemment le coté sonore aura la même influence que le coté visuel. Notre prétention se garantit par la citation de Deshays :
la part sonore dans ce qu’on appelle l’audio-visuel est au moins aussi important que la part visuelle.
Bien que le cerveau analyse le son comme le deuxième élément par rapport à l’image, la perception de cet élément issue de l’analyse a la même influence sur le destinataire que l’image. Concernant la vérification de l’importance du jingle dans le récit de la marque, en plus de la référence à Chion, on a profité d’une enquête basée sur la découverte de l’identité de marque à travers le logo sonore, accomplie par une étudiante en M2 “Sémiotique et Stratégies de communication” à l’université de Limoges. Cette investigation a relevé que la majorité des gens (94%) connaissent le logo sonore et seulement 6% des gens lui étaient étrangers. De plus, 44% affirment que les logos sonores ont plus d’impact que les logos visuels, pour 37% le logo sonore a autant d’impact, et pour 19% il a moins d’impact que le visuel. La majorité a donc déclaré que les logos sonores ont plus d’impact, voire autant d’impact qu’un logo visuel. Ils sont donc aussi important l’un que l’autre “(Coronne 2012)”.
Malgré le primat de l’image sur la musique, celle-ci crée des images permettant son intégration dans des stratégies communicationnelles. La communication du sens est une autre mission que le jingle porte.
3.1.3. Mémorisation du message central de la marque
La mémorisation du message central par la médiation de la musique est un fait que certains chercheurs confirment, et certains d’autres rejettent. L’idée de ceux qui refusent ce caractère de la musique tels qu’Anand et Sternthal (1991), que Brooker et Wheatley (1994), se réfère à l’approche cognitive. En fait, selon eux, la musique, en tant qu’un stimulus émet beaucoup de ressources de traitement au cerveau, et ce dernier n’arrive pas à les traiter, il est distrait et il oublie donc le message central. D’autres comme Stout et Leckenby (1988), bien qu’ils s’accordent avec d’autres chercheurs au niveau de la capacité du cerveau pour le traitement de l’information musicale, en s’appuyant sur l’approche analytique de la musique, ils suggèrent que certains éléments musicaux sont plus capables à faire mémoriser le message au destinataire que d’autres. Par exemple, selon Wansink (1992) le mode majeur contient moins d’informations que le mode mineur, alors le mode majeur émet au cerveau moins de ressources de traitement, le cerveau pourrait donc mieux traiter ces informations et mieux mémoriser le message. Les chercheurs qui insistent sur la mémorisation du message central grâce à la musique, ils s’appuient sur la congruence entre la musique et le thème de la communication. Kellaris et al. (1993) ont examiné la congruence des sentiments évoqués par une musique instrumentale et le message publicitaire. Leurs résultats montrent que le concept de congruence est utile pour expliquer les résultats contradictoires au sujet de la mémorisation. En effet, il apparait que plus la congruence est élevée, plus la mémorisation est réussie, et inversement “(Kellaris et Mantel 1996)”.
La mémorisation d’un jingle s’assujetit à des règles indispensables à respecter durant sa composition. Vu les conditions citées au-dessus, il est à noter que la mémorisation du jingle se réalise au moment où le cerveau reçoit peu d’informations, et quand elles sont congruentes à la valeur de la marque. Une fois que le jingle est mémorisé, la marque est équipée de la compétence de mieux transmettre la valeur du produit, et elle obtiendra le savoir-faire à véhiculer son sens. Afin de réussir à mémoriser un jingle, la bonne solution est de créer une mélodie au maximum de 6 notes pour qu’il puisse être chanté. Munir l’auditeur de la compétence de chanter le jingle se réalise par la répétition d’une même cellule identique dans le schéma mélodique. En fait, quand notre cerveau perçoit cette répétition, il est plus facile pour lui de mémoriser la mélodie, et d’enrichir sa connaissance de la marque.
4. Etude modale et actantielle du jingle
Dans la perspective du schéma narratif canonique et du modèle actantiel, les rôles assumés par la musique nous permettent d’allouer au jingle les modalités actualisantes de la compétence. En partant de la définition que la compétence équivaut à ce qui est nécessaire à la performance “(Courtés 1991)” ou en d’autres termes que la performance présuppose la compétence, cela revient à dire que la marque considérée ici comme le héro ou le sujet d’état a besoin d’une force pour qu’elle puisse se transformer en sujet de faire, et qu’elle réalise l’action. Cette force est mise en œuvre par le destinateur (l’entreprise). L’entreprise demande à la marque de présenter les valeurs et l’identité du produit. Pour ce faire, la marque a besoin de compétences positives et actualisantes afin qu’elle se transforme au sujet de faire. Ainsi, la marque doit se doter de la modalité du pouvoir-faire et celle du savoir-faire, au but de réaliser son action. Selon Greimas (1966), le sujet d’état se munit de ces deux dernières modalités, par l’adjuvant, car celui-ci considéré comme un élément auxiliaire se situe dans la compétence “(Hébert 2009)”. Un adjuvant peut être défini alors comme un sujet de faire dans un programme narratif de maintien ou d’acquisition de la compétence, comme l’épée magique en possession du prince “(Hébert 2009)”.
Vu les missions du jingle déjà citées, quant à lui, il est une force considéré comme une compétence positive qui fait passer la marque de l’absence de pouvoir-faire et de savoir-faire à la disposition de ces dernières. Le jingle disposant la fonction poiétique, implicative et décorative répond au rôle d’adjuvant dans la perspective narrative. Il ajoute à l’image une identité esthétique de la nature musicale qui l’enrichit. Cette identité esthétique consiste aussi en répéter la valeur du produit sous une autre forme que visuelle, et en la renforcer de plus en plus. Il dote la marque d’une possibilité qu’elle n’avait pas auparavant. En effet, il contribue à l’aider à actualiser son but, c'est-à-dire transmettre des valeurs de la marque. En se référant à deux citations de Goudy et Zoghaib (2009) :
Le premier rôle de logo musical est de délivrer un message non-verbal central représentant la marque.
L’identité musicale permet d’illustrer des valeurs de marques et de soutenir les autres éléments de communication afin de faciliter la compréhension de l’identité de la marque.
parallèlement à trois missions du jingle, on affirme la nature auxiliaire du jingle et ses modalités de “faire pouvoir” et “faire savoir”. Il renforce la capacité de marque à transposer ses valeurs, et il assume le rôle de “l’épée magique” du prince pour réussir à faire sa mission.
5. Conclusion
La présentation mi-marketing mi-sémiotique du jingle qu’on a réalisée dans ce travail, reflète l’application de la narrativité en science de gestion. Il a été bien précisé qu’une marque est un actant-sujet devant pouvoir réaliser l’action demandée par le destinateur qui est l’entreprise. La réalisation idéale, pour l’entreprise, est un bon positionnement au marché par rapport à d’autres entreprises et leurs marques. Ce positionnement présuppose des outils auxquels la marque recourt pour réaliser son action. On a souligné que, dans les années récentes, l’un de ces outils est le marketing sonore qui aide la marque à transmettre les valeurs du produit, de l’entreprise ou du point de vente à travers la musique. Dans le cadre du marketing sonore, la musique, selon beaucoup de chercheurs, influence les attitudes affective, cognitive et conative du destinataire. Dans cette étude, on a étudié le jingle comme un morceau musical qui effectue cette influence.
D’une part l’étude du schéma narratif et du modèle actantiel en sémiotique, et d’autre part l’étude des missions que la musique accomplit par rapport à la communication du sens, à la mémorisation, et à la plaisance, nous ont permis de stabiliser un rôle auxiliaire pour le jingle dans le parcours narratif. Car il munit la marque des modalités “pouvoir-faire” et “savoir-faire” dans le but d’accomplir son action.
Finalement, les études faites sur la narrativité en marketing ouvrent des horizons intéressants pour développer l’application de la sémiotique dans les entreprises et surtout dans les secteurs de la création de la marque.
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